" Documentaire: "Mischa ou l’enfance assassinée".

Un plaidoyer post mortem qui croise des réflexions sur la filiation, le basculement dans le crime, les blessures irréparables.

Frères de sang

Il court. Seul. La caméra se rapproche. Casquette à l’envers, la vingtaine, les yeux brillants d’exaltation. Il sourit comme un gamin. Aux rangées de spectateurs sur les bords de la route. A la caméra. Mischa Ebner vient de remporter sa première course d’endurance. Sa victoire est immortalisée par la télévision suisse. Il ne sait pas que, trois jours plus tard, son frère sera retrouvé pendu dans son appartement. Nous non plus. Il y a simplement cette femme, présentée comme la mère adoptive de Mischa et d’Alex. Sur une photo en noir et blanc, les deux petits garçons malingres sont blottis contre elle. D’un pan de son manteau, elle les protège de la pluie. «Mischa aimait beaucoup les câlins. Alex observait tout , dit-elle, à propos des frangins inséparables. On n’évoquait pas leur passé. Les psys nous disaient de ne pas les questionner.» D’autres photos encore. Et quelques témoi-gnages – psychiatre, amie de la famille, instituteur –, comme les échos d’une enfance qui tenta, un jour, de se reconstruire. Et puis l’avis de décès d’Alex. Au téléspectateur de rassembler les pièces du puzzle. Et, surtout, les pièces manquantes. Les parents biologiques des enfants? Le père les battait, la mère se prostituait. Tous deux les ont abandonnés.
Stella Tinbergen, la réalisatrice, déroule cette pelote de fils douloureusement entremêlés sans rien dévoiler de ses intentions. Jusqu’au moment où une voix off se fait entendre. La voix lit des lettres écrites par Mischa. «Nous étions comme des jumeaux. Si l’un des deux meurt, l’autre meurt aussi.» Dès lors, la voix nous guide sur une autre piste. Celle de l’enquête policière. Car Mischa Ebner, le coureur solitaire qui aime sourire aux caméras, a basculé dans le crime. Le 21 août 2002, il est arrêté pour avoir tué une jeune femme et tenté d’en poignarder une autre. Mischa Ebner est le «tueur de minuit» qui fait frémir dans les chaumières suisses. Mais pour Stella Tinbergen, il est d’abord ce petit garçon qui pose sur les photos à côté de son grand frère. Celui qui l’a protégé des coups du père avant de l’abandonner, à son tour.
La construction à rebours du documentaire fait office de démonstration: Mischa Ebner est un assassin-victime. Dans l’une de ses lettres, rédigée avant de se pendre dans sa cellule, il dit: «J’aimerais bien dormir avec une peluche. Mais les meurtriers ont-ils besoin d’une peluche pour dormir?» On peut suivre la route de ce plaidoyer post mortem, mais on peut aussi emprunter l’un des sentiers qui s’ou-vrent soudainement au détour d’un plan, d’une photo, d’une phrase. Des sentiers qui parlent de la difficulté d’être parent – «On a été atten-tifs mais peut-être pas assez intelligents» , dit la mère adoptive des garçons. Ou de la douleur de ne pas pouvoir soigner ceux qu’on aime – «On avait beau le remplir d’amour, Mischa était un puits sans fond» , ajoute cette mère orpheline de ses fils. Et puis il y a peut être d’autres sentiers encore sur lesquels court Mischa... "

source : Marjolaine Jarry, http://www.au-troisième-oeil.com


Je me permets de mettre cet article, car à l'époque, cela avait pas mal fait parler ici en Suisse (d'autres suisses pourront peut-être vous le confirmer)... je me souviens que même moi j'avais peur de sortir à cette période, alors que l'endroit où le tueur sévissait était quand même à quelques distances de chez moi, mais la Suisse est petite, on se disait que peut-être le tueur se déplaçait... bref, une petite paranoïa quoi !