Je pense que la pédagogie joue un jeu important dans la problématique de l'orthographe. Pour faire aimer la littérature, et
a fortiori la langue, il faut lui donner vie, et je ne pense pas que l'on donne vie à un texte en en donnant une explication purement technique. La forme sert bien souvent à éclairer le contenu voire à le compléter, mais l'analyse de la forme pour la forme est vaine. Or, bien souvent, les professeurs de français lancent la chasse aux structures et aux outils d'analyse ; c'est dumoins ce qu'en retiennent les élèves, et ce qui ressort sur les copies, truffées de termes techniques de la littérature, "prolepses", "analespses" et autres "anadyploses", qui sont mal maîtrisés. Au contraire, et au grand dâme des correcteurs, elles se trouvent creuses d'exemples et, ce qui est bien plus grave, flouées d'idées.
La littérature est une forme d'existence à l'état pure. Mieux, c'est une forme d'éternité, un trésor inestimable. Comme tout trésor, elle nécessite une quête, une traque obstinée, pour être dénichée. Elle ne vient pas à nous, c'est à nous de venir à elle. Elle nous laisse cependant des indices dans le style, l'ordre des mots, les sons, que l'on doit bien sûr faire découvrir à son disciple en tant que pédagogue. Mais cela implique un dynamisme, une originalité, que les lettres prennent corps. Il faut en somme que l'âme et le corps d'un texte soit présentés dans un même équilibre. Il s'agit d'établir des liens.
Ainsi, ne serait-il pas judicieux, d'une part de recentrer un peu les études sur les matières fondamentales, et d'autre part, de lever l'interdit que certaines directives ministérielles ou parentales (comprenez ces malheureux parents, qui craignent que leurs chers ignorants souffrent de trop savoir...) ont imposées au texte, en multipliant les séances de lecture, à voix basse mais aussi, et surtout, à voix haute, voire de façon théâtralisée? Il faut que le pédagogue montre l'exemple. Je serais plutôt pour que, comme en est fait la proposition dans
La Fabrique du Crétin, les collèges et même les lycées imposent un horaire hebdomadaire où professeurs et élèves seraient réunis dans des salles de lecture, avec nul autre occupation que de se familiariser avec les textes littéraires, et même avec cet objet intriguant qu'est le livre. La bibliophilie est une chose qui se perd, et les bibliophiles sont ceux qui en profitent le plus (ils ont moins de chances de voir les bonnes affaires leur passer sous le nez

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La littérature est hélas dénoncée comme un acte infructueux, qui fait piêtre figure aux côtés des sciences naturelles, physiques ou chimiques. ("Moi, Monsieur, je ne lis que des Mémoires. Et moi que des traités scientifiques. Pas de temps à perdre." ironise Claude Roy dans
Défense de la littérature). Que ses détracteurs se détrompent, elle n'est pas l'occupation des oisifs. C'est cependant cette pensée qui domine dans nos politiques d'éducation, où la classe scientifique est adulée, la section économique et sociale délaissée (on n'y fait presque jamais allusion) et la section littéraire réduite aux fonctions de classe-poubelle (inutile de mettre un pluriel) où l'on réunit les nuls en maths. Mon lycée, par exemple, avait six terminales scientifiques, trois économiques et une seule terminale littéraire.
Je ne peux que vous renvoyer aux grands auteurs et aux théoriciens de la littérature, qui vous le démontreront avec plus de verve et de talent que je n'en suis capable, et avec certainement plus de légitimité (d'autant plus que la longueur de mes interventions peut décourager certains lecteurs) : pour ne citer qu'eux, il y a bien sûr Victor Hugo dans
William Shakespeare, Proust dans
A la Recherche du Temps perdu ("La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature" -
Le Temps retrouvé), Soljenitsyne dans
Les Droits de l'Ecrivain, ou encore Daniel Pennac et son incontournable
Comme un Roman.
(Cf. le recueil universitaire de N. Toursel et J. Vassevière, intitulé
Littérature : textes théoriques et critiques)