Fort bien ce que tu nous relates, mais d'où tiens-tu tes informations ? Parce que tellement de versions différentes sur la bête du Gévaudan nous ont été servies, que l'on ne sait plus où est la bonne.
Il me semble que même à cette époque il y avait d'excellents chasseurs, capable de lire une piste et d'identifier les traces d'un animal et de faire la différence entre un chien aussi gros soit-il et un loup même d'une taille sortant de l'ordinaire.
Quand aux armes de l'époque, le mousquet avait une portée comprise entre 225 et 250 mètres et tirait des balles de types (24 à la livre), le calibre de la balle pouvait atteindre 16 mm, puisque l'époque de la bête du Gévaudan commence le 30 juin 1.764, nous pouvons supposer qu'ils utilisaient les armes de l'époque.
Rapport Marin
Ce document, rédigé au château de Besques par maître Marin, notaire royal, le 20 juin 1767, le lendemain de la mort de la bête tuée par Jean Chastel à la sogne d’Auvers n’a été retrouvé par Mme Elise Seguin qu’en 1958 aux Archives Nationales (liasse F 10-476, fonds agriculture, destruction des animaux nuisibles). Il lève une part du mystère de la bête mais pose aussi questions.
Aujourd’hui vingtième jour du mois de juin mil sept cent soixante sept, nous Roch Etienne Marin notaire royal, Bailly de l’abbaye Royale des Chazes, St Arcons, de la Baronnie de Prades, Besques de Charraix, commis à la subdélégation de Langeac, pour le bon plaisir de Monseigneur de Ballainvilliers, Intendant de cette province d’Auvergne, en l’absence de Mr le Subdélégué, sur ce que nous avons appris que Mr le marquis d’Apchier, fort occupé des ravages affreux que faisait depuis plusieurs années une bête féroce sur les frontières de cette province d’Auvergne et de celle du Gévaudan, pour la destruction de laquelle il avait fait une infinité de chasses, mais infructueusement, et qu’enfin cette bête ayant encore paru dans la paroisse de Nozeyrolles et la paroisse de Desges le dix huit du présent mois et dévoré un enfant ce même jour, Mr le marquis d’Apchier en aurait été averti et serait parti ce même jour, dix huit du présent mois, sur les onze heures du soir, avec quelques chasseurs de sa maison et quelques autres de ses terres qu’il assembla précipitamment, en tout au nombre de douze. S’étant transporté dans sa forêt sur la montagne de Margeride, posté ses gens, battu cette forêt et ensuite celle de Mr le marquis de Pons, cet animal féroce se serait présenté sur les dix heures un quart du matin du jour d’hier, dix neuf du présent, à un de ces chasseurs nommé Jean Chastel du lieu et paroisse de la Besseyre, lequel tira un coup de fusil à cet animal duquel il tomba mort au bord de la forêt appelée la Tenazaïre en la paroisse de Nozeyrolles. Mr le marquis d’Apchier ayant fait transporter cet animal à son château de Besques, paroisse de Charraix, nous avons jugé à propos de nous y rendre pour en faire la vérification. Et étant au château de Besques, Mr le marquis d’Apchier nous a fait représenter cet animal qui nous a paru être un loup, mais extraordinaire et bien différent par sa figure et ses proportions des loups que l’on voit dans ce pays. C’est ce que nous ont certifié plus de trois cent personnes de tous les environs qui sont venues le voir. Plusieurs chasseurs et beaucoup de personnes connaisseuses nous ont effectivement fait remarquer que cet animal n’a des ressemblances avec le loup que par la queue et le derrière. Sa tête, comme on le verra par les proportions suivantes, est monstrueuse ; ses yeux ont une membrane singulière qui part de la partie inférieure de l’orbite, venant au gré de l’animal recouvrir le globe de l’œil. Son col est recouvert d’un poil très épais d’un gris roussâtre, traversé de quelques bandes noires ; il a sur le poitrail une grande marque blanche en forme de cœur. Ses pattes ont quatre doigts armés de gros ongles qui s’étendent beaucoup plus que celles des loups ordinaires, elles ont, ainsi que les jambes qui sont fort grosses, surtout celles du devant, la couleur de celles du chevreuil. Cela nous a paru une observation remarquable parce que de l’avis de ces mêmes chasseurs (mot rayé dans le texte) personnes connaisseuses et de tous les chasseurs, on n’a jamais vu aux loups de pareilles couleurs. Il a encore paru à propos d’observer que ses côtes ne ressemblent pas à celles du loup, ce qui donnait à cet animal la liberté de se retourner aisément, au lieu que les côtes des loups étant obliquement posées, ne lui permettent pas cette facilité.
Les proportions que nous avons fait prendre de cet animal sont : Longueur depuis la racine de la queue jusqu’au sommet de la tête : trois pieds (99 cm) / Depuis le sommet de la tête jusque entre les deux grands angles des yeux : six pouces (16,2 cm) / Des grands angles des yeux jusqu’au bout du nez : cinq pouces (13,5 cm) / Largeur d’une oreille à l’autre : sept pouces (18,9 cm) / Ouverture de la gueule : sept pouces (18,9 cm) /Largeur horizontale du col : huit pouces six lignes (23 cm) / Largeur des épaules : onze pouces (29,7 cm) / Largeur à la racine de la queue : huit pouces six lignes (23 cm) / Longueur de la queue : huit pouces (21,6 cm) / Diamètre de la queue : trois pouces six lignes (9,5 cm) / Longueur d’oreille : quatre pouces six lignes (12,2 cm) / Largeur du front au-dessous des oreilles : six pouces (16,2 cm) / Distance entre les deux grands angles des yeux : deux pouces six lignes (6,7 cm) / Longueur de l’humérus : huit pouces quatre lignes (22,5 cm) / Longueur de l’avant bras : huit pouces (21,6 cm) / Longueur de la dernière articulation jusqu’aux ongles : sept pouces six lignes (20,3 cm) / Longueur de la mâchoire : six pouces (16,2 cm) / Largeur du nez : un pouce six lignes (4 cm) / Largeur des mâchelières inférieures : un pouce trois lignes (3,4 cm) / Longueur des incisives : un pouce trois lignes (3,4 cm) / Longueur des mâchelières inférieures : six lignes (1,3 cm) / Longueur des machelières supérieures : un pouce une ligne (2,9 cm) / Longueur de la langue : quatorze pouces depuis sa racine (37,9 cm) / Largeur des yeux : un pouce trois lignes (3,4 cm) / Epaisseur de la tête : sept pouces (18,9 cm) / Jambes de derrière de la première à la seconde articulation : sept pouces deux lignes (19,4 cm) / De la seconde à la troisième articulation jusqu’aux ongles : dix pouces (27 cm) / Largeur des pattes : quatre pouces six lignes (12,2 cm) / De la châtaigne au bout de la patte : six pouces (16,2 cm) / Longueur de la verge : sept pouces (18,9 cm).
La mâchoire supérieure est garnie de six dents incisives, la sixième étant plus longue que les autres,. deux grandes lanières ou crochets éloignées des incisives et de la hauteur d’un pouce quatre lignes (3,6 cm) , d’un diamètre de six lignes (1,3 cm) , trois dents molaires, dont une assez petite et deux grosses, une quatrième molaire plus grosse que les autres et à laquelle est presque unie la cinquième et avant dernière qui est divisée en deux parties dont une s’étend perpendiculairement et l’autre s’allonge horizontalement dans l’intérieur du palais et enfin une sixième molaire.
La mâchoire inférieure est garnie de vingt deux dents : savoir six incisives et de chaque côté une lanière semblable aux supérieures, sept molaires : la première très petite et éloignée de la lanière, les trois suivantes sont plus grandes et semblables à la deuxième et troisième molaire supérieure, la cinquième plus grosse et longue est divisée en trois parties dont l’antérieure est moins longue, la sixième assez grande a deux éminences antérieures et latérales, la septième est très petite et presque égale.Nous avons remarqué une blessure à trois lignes (0,7 cm) au-dessous de l’articulation de la cuisse droite tant intérieurement qu’extérieurement et avons touché au jarret trois grains de plomb. On nous a assuré que cette blessure devait être celle que lui fit le sieur de Lavédrine, écuyer, par un coup de fusil il y a deux ans ou entour, plus une autre blessure ancienne à la cuisse gauche près de l’articulation, plus une ancienne blessure au-dessus de la paupière de l’œil gauche qui paraît avoir été faite par un instrument tranchant. Enfin cet animal a reçu le coup mortel par un coup de fusil qui lui a percé le col, coupé la trachée artère et cassé l’épaule gauche.
Sur le nombre des habitants de la campagne ici assemblés, les ci-après dénommés ont reconnu cet animal et assuré être le même qui a fait tant de ravages.
Pierre Aret de Servillanges, paroisse de Venteuges, a dit lui avoir tiré, au printemps 1766, le coup de fusil ci-dessus désigné à la jambe gauche.
Jean Pierre Loudes de la Veysseyre, paroisse de la ville de Saugues, âgé de 22 ans, a dit avoir fait quitter prise à cette bête qui tenait une fille du village de Sauzet au printemps 1766, à laquelle bête il porta un coup de baïonnette.
Joseph Regourd, Jean Jacques Laurent et Baptiste Lonjon de Servillanges ont dit lui avoir fait abandonner le nommé Guillaume Barthélémy qu’elle avait surpris en gardant le bétail.
François Laurent, de la Vacheresse, paroisse de Venteuges, âgé de 32 ans, a dit avoir été attaqué par cette bête depuis entour trois semaines.
Joseph Chassefeyre du lieu du Fraisse, paroisse de Chanaleilles en Gévaudan, a dit avoir été attaqué par cette bête, il y a un an. Elle arrêta ses bœufs attelés à un char, il eut beaucoup de peine à s’en défendre quoique armé d’un bigot.
Antoine Plantin, de Servières, paroisse de Saugues, âgé de 40 ans a dit que c’est le même animal qui lui enleva sa fille le deux mars dernier, que l’ayant poursuivie entour cinq cent pas, il la perdit de vue dans un bois et sa fille en fut dévorée.
Barthélémy Simon de Servières, paroisse de Saugues, âgé de 22 ans, a dit être le même animal qui l’avait attaqué dans un pâtural au mois de septembre dernier et auquel il tira un coup de fusil.
Laurent Vidal de Servières, âgé de 17 ans a dit que ce même animal l’avait attaqué en deux différents jours au mois de mai dernier, qu’heureusement il était armé d’une baïonnette, sans quoi il aurait péri. Il a ajouté avoir vu cette même bête dans un pâtural depuis entour quinze jours qui mangeait un enfant de Jacques Meyronneinc.
Antoine Laurent, de Servières, âgé de 12 ans, a dit avoir été attaqué par cette bête il y a un mois et que sans le secours d’un homme il aurait péri.
Jean Bergougnoux, du mas de Montchauvet, paroisse de Saugues, âgé de 48 ans, nous a dit que cette bête est la même qui lui dévora un garçon de neuf ans au mois de mars 1766, qu’il l’avait poursuivie pour lors longtemps, mais inutilement. Il a ajouté que cette bête l’attaqua au mois de mars dernier, qu’il en aurait été dévoré s’il n’avait été armé d’une pelle ferrée.
Anne Chabanel de Viallevieille, paroisse de Saugues, âgée de 17 ans, a dit que cette même bête l’avait attaquée au mois d’août 1766 et qu’elle lui porta en vain plusieurs coups de baïonnette.
Marguerite Dentil, de Viallevieille, âgée de 32 ans, a dit que cette bête l’avait attaquée le carême dernier et que sans une cognée dont elle était armée, elle aurait péri.
Marie Reboul de la Veysseyre, âgée de 19 ans a dit que c’était la même bête qui l’avait attaquée le carême dernier , et nous a montré trois blessures qu’elle lui fit au-dessus du muscle du bras droit et une autre de six pouces (16,2 cm) en longueur depuis le haut du pariétal jusqu’au derrière de la joue et lui emporta l’oreille. La réunion des chairs n’est pas encore faite.
Jean Chassefeyre de la Veysseyre, paroisse de Saugues, âgé de 44 ans a dit que cette bête est la même qui dévorait ladite Marie Reboul et que ce fut lui qui lui fit quitter prise.
Elisabeth Molhérat de la Veysseyre, âgée de 28 ans a dit que c’était la même bête qui dévorait ladite Marie Reboul au secours de laquelle elle accourut avec ledit Jean Chassefeyre.
Antoine Dentil de la Veysseyre, âgé de 14 ans, a dit avoir été attaqué par cette même bête dans un bois le six du présent mois et qu’il lui porta plusieurs coups de baïonnette.
Catherine Freycenet de la Veysseyre âgée de 42 ans, a dit avoir été attaquée par cette bête au mois de juillet 1766.
Pierre Combeuil de la Veysseyre, âgé d’environ 22 ans, a dit avoir vu cette bête il y a deux ans qui tenait un enfant de huit ans qu’elle avait terrassé et qu’elle aurait dévoré sans le secours du père de cet enfant.
Jean Teyssèdre du lieu de Meyronne, paroisse de Venteuges, âgé de 29 ans, a dit avoir été attaqué deux fois par cette même bête depuis entour dix huit mois.
Jean-Pierre Guilhe du Rouve, paroisse de Venteuges, âgé de 40 ans, a déclaré avoir été mordu par cette même bête à la hanche gauche il y a deux ans.
Barthélémy Moussier de Mourennes, paroisse de Venteuges, âgé de 15 ans, a dit avoir été poursuivi par cette même bête le cinq du présent mois.
Jean-Baptiste Bergougnoux de Vachellerie, paroisse de Paulhac en Gévaudan, a dit avoir été attaqué par cette même bête deux fois dans le courant de mai dernier.
Antoine Veyrier de Pompeyreinc, paroisse de la Besseyre en Gévaudan a dit avoir été attaqué par cette bête le cinq du présent mois.
Jean Bourrier du lieu de Pompeyreinc, âgé de 12 ans, a dit qu’étant sur un arbre, cette même bête vint prendre au pied de cet arbre un autre enfant de son âge, que lui y accourut avec un homme qui se trouva aux environs et que cette bête se voyant poursuivie, quitta prise.
Barthélémy Dentil de Septsols, paroisse de la Besseyre, âgé de 50 ans, a dit que cette même bête l’aurait attaqué dans un bois pendant trois fois le même jour, au mois d’avril dernier et qu’elle fit tous ses efforts pour enlever un petit enfant qui était à côté de lui.
Jacques Pignol, de Pontajou, paroisse de Venteuges, âgé de 57 ans, a dit que cette même bête, au mois de mai dernier, se présenta à lui dans un pré et voulait enlever un de ses enfants qu’il avait entre ses bras.
Tout ce grand nombre d’habitants nous ont certifié que le ravage de cet animal était si affreux que depuis les fêtes de Pâques dernières, il aurait dévoré, en, différents endroits des frontières du Gévaudan et d’Auvergne au moins vingt cinq personnes. Toutes les démonstrations ci-dessus ayant été faites, citées, proportions tirées par maître Antoine Boulangier et Court–Damien Boulangier, maîtres en arts de chirurgie habitants de la ville de Saugues, en présence de Monsieur Jean-Baptiste Aiguillon de Lamothe, docteur en médecine habitant de la ville de Saugues, dans la dissection de cet animal, nous ont fait voir que la tête, laissant un vide à ses côtés, imite parfaitement la proue d’un vaisseau et ont tiré de l’estomac un os qu’ils ont dit être la tête du fémur d’un enfant de moyen âge. Ils nous ont aussi fait remarquer que cet animal, depuis la patte de devant jusqu’à l’épine a la hauteur de deux pieds quatre pouces (76,8 cm) et que ses yeux sont de couleur rouge cinabre.
Et nous, ayant requis Monsieur le Marquis d’Apchier et Monsieur le comte d’Apchier son père, s’ils voulaient cet animal es mains et sous le chargement du sieur Desgrignard brigadier de maréchaussée à Langeac ici présent, sur notre réquisition avec deux cavaliers de sa brigade, pour être envoyé à Monseigneur de Ballainvilliers, intendant de cette province, Messieurs les Comte et Marquis d’Apchier nous ont répondu que Monseigneur de Ballainvilliers n’était pas actuellement à Clermont et qu’ils jugeaient à propos de garder cet animal pour en disposer eux-mêmes de la manière la plus convenable.
De tout quoi, nous avons dressé le présent procès-verbal en quatre copies que nous avons signées avec lesdits Sieurs de Lamothe, Boulangier et ledit Sieur Desgrignards et en avons laissé deux à Monsieur le Marquis d’Apchier qui les a requis et une troisième devant être envoyée à Monseigneur de Ballinvilliers intendant.
Fait ledit jour et an que dessus.
source :
Rapport Marin