Nouvelle petite précision, même si King est l'auteur à l'origine d'un genre à part entière, la " Quiet Horror " (L'horreur tranquille) , il est également l'auteur de quelques nouvelles sf, comme l'excellent " Sables " (in recueil " Brumes ", " La faucheuse ", éditions J'ai lu) , qui me fait dire que lorsqu'un auteur de fantastique s'empare d'un sujet sf, il peut donner des chefs d'oeuvres. Je ne pourrai que trop conseiller la lecture de cette merveille de quelques pages. Si King s'était amusé à en faire un roman, cela aurait pu donner une perle noire du genre, c'est dommage...
Pour ce qui est de la fantasy, mettons nous d'accord, King est l'auteur d'un excellent opus de fantasy pour la jeunesse, " Les yeux du dragon ", ainsi que du monolithique cycle de " La tour sombre ". Univers parallèles, quête d'un groupement de paumés issus de notre réalité, emprunts au monde du far-west et introduction de données relevant du récit post apo, et univers déjanté touché par l'entropie, et déjà esquissé dans " Le talisman des territoires " , ainsi que sa suite " Black House ", toute une partie de son oeuvre romanesque relève d'un contexte fantasy. Kay, dans sa " Tapisserie de Fionavar " développera une thématique résolument moderne autour d'un groupement d'adolescents, incluant là une opération inverse, faisant rentrer dans leur destinée, bien que liée à des mythes nordiques et celtes, de remarquables éléments réalistes et un pathos profondément sombre. Donc, je ne peux admettre qu'on dise que King n'a jamais écrit de fantasy, son oeuvre centrale " La tour sombre ", est bel et bien une fantasy, quoique dans un style profondément personnel et inspiré d'un poème phare qui est la thématique centrale d'une oeuvre fascinante, " Le chevalier Roland s'en vint à la tour noire " de Robert Browning, qui est un poème narratif lui-même inspiré par " Le roi lear " de Shakespeare. Donc, nuançons bien les choses, ce n'est pas à strictement parlé de la fantasy, c'est quelque part entre la fantasy-urbaine et une fantasy entropique que je dirais Ballardienne teintée de millénarisme. King s'amuse avec un parlé, une gouaille, mais également avec la pathologie dominante de sa culture, ce millénarisme chanté à tout va, typiquement protestant, et qu'on voit déjà magnifiquement à l'oeuvre dans " Le fléau ". Là où il y a quête du graal, chez King c'est une espèce de rédemption pour chacun, mais à partir d'une quête commune, ici La tour sombre. Cette quête est cependant quelque peu absurde, elle frôle le nonsense et le grotesque, c'est là une subversion des règles générales d'une fantasy qui se veut généralement plus providentielle dans ses visées. Là où la fantasy traditionnelle scande un bien commun réalisé dans une quête collective, King développe un parcours durant lequel chaque protagoniste se voit dépouillé, mis à l'épreuve, mis à nu, pour au final nous donner non pas une leçon mais une transformation malgré soi et ses actes passés, malgré la présence en coulisse de la faucheuse ainsi que d'éléments surnaturels inspirés du mal " biblique ". Donc, dire que King n'a jamais fait de fantasy est également faux, car son oeuvre centrale en est bien une, même si la manière de raconter est plus apparentée à un Paul Auster déambulant dans quelque réalité parallèle plus inspirée des délires LSD d'un Dick que des mythes traditionnels du roman épique, les Lais ou autres...
King a deux influences, Lovecraft pour les éléments surnaturels, une certaine idée de l'effroi aussi, mais pervertis par un nonsense anglais ainsi qu'une bonhomie purement américaine, l'américain de tous les jours, d'où le processus d'adhésion immédiat de la part des lecteurs.
La seconde influence relève de Ray Bradbury, pour cet arrière fond magique de l'enfance vue en grand, avec secrets de familles, caves et greniers pleins de monstres et merveilles mais sans folklore déterminé, trains fantômes, amours perdus, nostalgie du passé, retour aux sources, et une certaine idée du regret.
Donc, l'univers de King est loin d'être aussi naïf qu'il le laisse croire, il est au contraire d'une incroyable richesse, où horreur et univers de fantasy atrophiés et entropiques se côtoient par l'entremise de passages, des passages se décrivant la plupart du temps comme de mauvais trips et des chutes d'ivrognes. On est loin des belles portes dorée au bout desquelles nous attendent les princesses et sages. Les individus ne deviennent pas des chevaliers, guerriers ou sorciers en assumant un destin réaliste comme chez Kay, mais suivent une épreuve dont le but reste incertain et le chemin pour y parvenir essentiel, un champs d'expérience où c'est toute l'Amérique qui se met à nue, dans ses " petites existences ", des individus comme vous et moi ou issu des niveaux les plus bas de notre société humaine. Ces individus sont porteurs des tares, qualités et promesses des lendemains verdoyants ou terribles, voir sans aucun espoir. Les personnages de King, encore un legs français, sont quelque part entre Sartre et Camus. Ils se questionnent non plus sur les éléments de la surnature mais sur leur propre place dans le monde, l'intérêt de leur quête, la nécessité ou non de se suicider, l'amour. Bref, les protagonistes dans l'oeuvre de King demeurent d'une profonde humanité, ils sont comme nous, et le processus d'identification est alors entier. Oui, King a bel et bien écrit de la fantasy, mais il le fait avec le désespoir d'un Auster et l'absurdité rêveuse, vagabonde et absurde d'un Kerouac (mais avec un lien avéré aux parents, comme chez Kerouac qui adorait sa mère dans le fond, une espèce de cordon ombilical non rompu) à jamais perdu sur les routes d'une Amérique qui est un peu notre Atlantide à tous...
Pour en revenir sur le plus grand écrivain de sf, je pense qu'il y en a beaucoup, mais pour moi ça reste Frank Herbert et Sir Cordwainer Smith...
