LUCIFER CRUX
I
Grisé, grisé,
Et fatigué de tout,
La pente où je glisse me fait peur
Et je m’accroche aux boutons de ma veste,
Secouant la tête comme un hochet.
Oh vivre et sentir
Ce qui se trame dans les limbes,
Fausses ombres engluées de clair de lune !
Ma carte neuve se brise,
Mon rhombe va s’endormir...
Silence, reste au creux de moi,
Si je suis vide, emplis moi d’innocence,
Reste, compagnon de fortune,
Ce soir, reste avec mes larmes.
J’ai vu une sorte d’impalpable,
Quelque chose,
Et toi, qu’as-tu vu ?
-J’ai vu les plaines de l’ombre
Les plaines maritimes,
Cristal de bohème
Où coule le whisky.
-A l’aube les âmes se blessent
Aux rayons de l’aurore.
Qu’on m’allonge maintenant,
Demain je deviendrai cela,
Crâne, cadavre, goule,
Ou repas,
Cervelle morne et tordue,
Pétrie de lard et de bois,
Coque hantée d’eau saumâtre !
L’encens pénètre les fibres de ma chemise,
Et je fouette un ostensoir;
Au bruit accourent mes serviteurs,
A demi effrayés par mon rire suraigu.
Je suis d’instinct le tracé
Des sentiers en haillons
Que forment les braises,
Fer, et acier, mélés
De cendres et de gui.
Jour honni des siècles d’encre
Et paria des gloires maudites,
Clair parsemé de gorges,
Rimes doublées de satin flamboyant,
Qu’offrent les esprits des morts ?
Ils s’enferment dans leur boîte,
Et ne pensent à rien,
Qu’à hanter les souvenirs.
Si mon âme
Attend d’être guérie
Et bercée de musiques blèmes,
Je ne veux pas me détourner.
L’ennui dégoutte de mes veines...
Drape-moi dans une toge.
Mes entrailles sont une ceinture
A mon goût.
Qui peut te croire, enfin,
Porte grinçante sur mon domaine ?
II
Libres, libres, sommes-nous incroyables?
Jusqu’aux volets d’aubépine
Il me suivait à la trace,
Rétiaire invisible et lent,
Et je n’ai pas même ri.
Je n’ai chagriné personne, pourtant,
Et rien ne m’en veut en ce monde,
Menhirs de sable !
Ce druide noir me hante et s’en va.
Jouet...
Partie de moi qui me connait
Mieux que je connais mes liens
Grisés de vitesse au-dessus des pages,
Prévenant la plume ; le velin
Blanc, l’aurore, le soleil,
La triste journée, le soir,
La nuit.
Et encore, il vient,
Parlant, rampant, moribond,
Vagabondant mon âme...
Oui..
Est-ce cela ...
Mon âme...
La prendre, à tout le moins ;
L’acheter, peut-être ;
Garnement !
Se peut-il être vain et grand tout à la fois ?
Son rire m’est apparu, enfin,
En son océan.
Mais l’aube est partie...
Serai-je encore seul, jusqu’à ce soir ?
III
Moi, j’ai vécu,
Et je cherche ma ressemblance.
Je viens quand je veux,
Je ne pars qu’en linceul,
Un carosse plus rapide que ton pouvoir.
Mon âme,
Ne pose pas trop de question, j’ai mal à la tête...
On me l’a arrachée,
Et je le digère mal,
Mon sang.
Les ténèbres m’accueillent.
Derrière ton bureau tu diriges les hommes,
Leur esprit, tout au moins,
Mais moi, MOI,
Je tire et je tue,
Mieux qu’aucun Chatterton,
Ce que, pour l’instant, tu semble devenir...
Et moi qui roule mes dents ensanglantées
A me faire mal !
Tu viens et tu pars librement.
Selon tes libertés;
Et aucun dieu n’a plus de liberté qu’un Homme.
Voilà ce qui te manque, pour réussir :
N’être plus un Homme.
Tandis que la plus petite source d’eau claire
Me blesse comme sabre,
Inconscient !
Tes pages rongent ma peau depuis trop d’heures,
Maintenant.
Tu m’as même pris mon mot.
Le sel des larmes, vois-tu,
Pique affreusement mes chairs,
Alors arrête de te plaindre !
Tu te plaindras bien assez tôt.
IV
Là où je vis,
On pourrait entendre l’écho des ombres,
Rampantes, aux brasiers rouges,
Les sons de leurs trompes suintant des parrois.
Une foule est là,
Qui me contemple,
Et ses cris couvrent le sifflement des trompes.
Large et claire est l’épée
Qui pend à mon siège,
Et de temps à autre je caresse sa lame.
Parfois les danses s’arrêtent,
Et je regarde pensivement les ténèbres ;
Et j’imagine tant de choses...
C’est ainsi que je me repose.
La pluie force les ombres à se cacher,
Et j’emets une plainte funèbre.
Aussi les morts se réveillent,
Et viennent danser avec moi.
D’autres démons se lèvent avec eux,
Lorsque la pluie redouble de violence.
Chaque goutte me fait MAL !
Les morts sont si fatigués
Qu’ils dorment pendant des temps incertains...
Les nuages bleus, scintillants d’éclairs...
Oh ce que tu manques, mon ami,
A vivre sur terre !
V
Si le Diable t’invite,
Ne suis pas son manteau,
Ne lis pas son carton,
Ne va pas à sa messe.
Ne cherche même pas à savoir ce qui viens après la Mort.
VI
Je te vois...
Crois-tu que je sois mort ?
Voilà la nuit.
Quand dormirai-je, pitié,
Je voudrai dormir !
Qui te dis les leçons oubliées,
Sinon moi ?
Assez de nuit sans rêves.
Je veux dormir.
Tout le monde voudrait dormir ;
Moi le premier.
Enfant des saules,
Mes rêves à moi sont si terribles...
Tu devrais y goûter,
Ne ferme pas les yeux, le jour n’est pas encore venu !
Tu devrais y goûter, dis-je,
Comme parfois je goûte vos plats aigres.
Vrai et faux se mêlent de te conduire,
Etonnes-toi d’être écartelé !
Repose-toi, et tu perdra ta nuit.
Puis-je gagner ?
Dors, petit poête,
Et attends-moi demain.
Attends un peu avant d’écrire.
La nuit a été propice aux rêves,
Et, moi,...
Gratte-papier, tu voyages !
Je rampe, sourd,
Suintant, mon gilet graissé,
Et tout s’effondre sous mes pas,
Bris de verre ahuris...
Tu ne connais pas
Les souffrances des Hommes.
Il fut un temps où je les imaginais,
Les souffrances des Hommes.
Ces bris de verre...
VII
Je te parerai de voluptés,
Sans cesse déférées de ton organe
- Cerveau mol - à faire pâlir d’envie
Les carnes qui me domptent.
Encre rousse où je me baigne,
Tu laisses mes sens flétris et mon souffle
Infuse lentement dans tes séraphes.
Créon de fiel, tu t’égarerais
Dans les limbes atroces ?
Non, cher poète, Je te laisse le soin d’avoir
La prime pour ta tête.
Ne laisse personne - personne -
T’approcher comme je l’ai fais, ô mon ange !
Reste futile où grave, mais libère,
La flesh, fais-là jaillir...
Tiré aux vents des feux follets,
J’assiste le monde durant sa longue agonie.
Sans cesse dompté par les Hommes,
Je résiste aux dieux sans nombres...
Douceur, aigreur,
Rien ne me dure autant
Que la peine !
Si, toutefois, un poète me tente,
Moi qui ai tenté les mortels,
Grâce lui soit rendue.
Mais trop souvent je reste indécis, et, seul,
Je m’écoute pleurer.
Graisse,
La chair qui étouffe me plait tant !
Les hommes se fanent en douce,
Comme un condor assoiffé d’os.
Laissons cela :
Tu veux, dis-tu,
Ce que mes mains recellent ?
Les sables gris de toute clameur,
Les craquements de bois sec,
Au gré des feux de pierres ;
Je te laisse la suite en gage, cher poète,
Pour qu’on laisse mes cris vieillir,
Sordides,...
Comme tout, les marais assèchent les yeux,
Le vide semble immense,
Libre vent fou des sentiers hurleur !
Laisses de romans,
Attache tes chiens avec,
Et cour devant eux,
SANS Tête !!!
Allume donc ta peur du loup,
Croire enfin aux cavernes des monstres,
C’est chercher au loin ce qui vit, là,
Et l’ultime éclat du gypse me ronge,
Ronge enfin la lune,
Enorme rouge au feu des luisants !
Accroche encore le peu qui te reste
Aux arbres torves,
Et lance au loin la vue des mains sombres
Qui gratte ta couenne.
Semmé de toute part d’enfants gras aux dents jaunes,
Qui sucent ta graisse lourde,
Tu hurles de plus belle, la douleur
Est ATROCE.
Et bien des fois tu pries
Pour que cela cesse.
Moi seul peux te défaire
De tes maux.
N’aime personne,
Et je te suis.
Aime tes vers, je te vomis,
Comme un steak imbibé de larves.
Jamais chaudron ne m’a rendu plus muet.
Crois-tu être seul ?
Tout, ici, se ligue,
Se tord s’enchevêtre, s’éventre et se forme,
Se lie, se coud, se découd puis se tisse,
Se fane, renait, remeurt et vit encore,
Court, saute, et tombe sur le sol,
Tourne, gît, fuit et revient,
Casse, perce, forme, fond,
Martèle, frappe, tord, encore, de plus belle,
Lisse, polie, chatoie, admire,
Puis tombe, se casse, et recommence.
Suivras-tu mon avis ?
C’est ce que tu es qui brille.
-Je ne crie pas au fou
Si je suis dans la salle,
Mais je me penche aux fenêtres,
Et, les persiennes entre les crocs,
Je vide ma substance
Au son des cors de bois noir.
-Ecris !
Ecris Toujours !
Quand tout l’enfer serait contre moi,
Tu n’aurais pas la moindre phrase valable
Sur ton mauvais velin !
VIII
Pourquoi pousser ainsi au crime ?
N’en a-t-il pas assez ?
Je veux la gloire, pourtant.
Alors, où est mon écrin ?
Criard des vitres glissantes,
Ta tourbe ne glaise que les racines,
Mais les dents s’accrochent toujours,
Là où il n’y a plus de place.
Le feu se rend aux nuits sans lune,
Pour pouvoir mourir décemment.
IX
Mon cocher s’impatiente.
Veille bien à ce qu’il n’attende pas !
Qui croire ?
Le fou où l’animal se lèche,
Ou bien l’animal ?
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