Châpitre trois
Faîtes gaffe, ça devient palpitant
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CHAPITRE TROIS
Alice observait à travers ses jumelles les bâtiments de la station agraire de Stoney. Les structures des immenses serres qui abritaient les champs de céréales semblaient parfaitement intacts. La jeune femme doutait qu’il puisse rester des survivants tellement ce lieu paraissait abandonné depuis un bout de temps, mais au moins était elle sûr de trouver de la nourriture.
Le paysage alentour contrastait avec celui du reste de la planète. En effet, on se trouvait au pôle sud de Mars, et le désert de sable était ici remplacé par le blanc immaculé de la neige.
Alice avançait en direction de la colonie d’un pas prudent, les yeux constamment rivés à son détecteur de mouvement : un petit moniteur accroché à son poignet gauche qui quadrillait une zone de quatre-cents mètres carrés. Cet appareil était le meilleur garant de sa sécurité, car tout ce qui se déplaçait dans son rayon d’action était immédiatement repéré. Elle l’avait récupérée sur le cadavre d’un ancien soldat de la Force d’Intervention Martienne, dans un avant-poste militaire. Le petit module lui serait désormais plus utile à elle qu’à lui.
Plus la jeune femme marchait, plus elle avait la désagréable sensation d’être observée. Les sens aux aguets, la main posée sur son fusil d’assaut qu’elle portait en bandoulière, Alice s’approchait d’un énorme bulldozer rouillé. L’engin était une sorte de grue qui servait visiblement à transporter des tuyaux. A côté, un trou avait été creusé dans le sol et des canalisations en béton en dépassaient. Autour se trouvaient pêle-mêle des marteaux-piqueurs, des pioches, ainsi que divers appareils que la jeune femme ne parvînt pas à identifier.
Elle jeta machinalement un coup d’œil à l’intérieur du poste de pilotage de la grue, dans l’espoir de trouver quelque chose d’intéressant. Elle ne dénicha qu’un paquet de cigarette périmé, une paire de gants sales et une vieille revue érotique.
Soudain, la sensation d’être épiée qui la tiraillait depuis un moment réapparut. Alice regarda son détecteur de mouvement, mais celui-ci restait impassiblement vierge. Rien ne bougeait autour d’elle !
Alice laissa tomber le bulldozer et repris sa marche vers les bâtiments de Stoney. La colonie n’était pas immense, et hormis les gigantesques baies vitrées à l’aspect de dômes qui abritaient les plantations agricoles, les autres constructions ressemblaient à des baraquements construits à la va-vite.
Les deux pôles de Mars avaient été les endroits idéales pour installer les colonies agraires, car l’eau y était en abondance sous forme de glace, et les terres y étaient ainsi parfaitement cultivables et irrigables. Plus importante que sa consœur du pôle nord, Stoney approvisionnait de ses huit-cents mètres carrés de champs sous serres, la totalité des villes de l’hémisphère sud de la planète rouge. Quasiment tous les colons qui travaillaient ici étaient des fermiers, et pendant la guerre cet endroit avait été fermement protégé contre les Bioroïds. Aujourd’hui tout semblait tragiquement à l’abandon.
Alice dépassa bientôt l’écriteau en fer qui souhaitait la bienvenue dans la station agricole de Stoney. Derrière elle, le ciel s’assombrissait de plus en plus. Une tempête s’annonçait ! Brusquement, une violente bourrasque de vent vint soulever un important nuage de neige, et se couvrant les yeux avec ses mains, la jeune femme courut jusqu’à l’entrée du bâtiment le plus proche dont elle dut forcer la porte. A l’intérieur régnait un foutoir indescriptible. Un bureau était jonché de papiers déchirés et de reste de nourritures, une table aux pieds cassés gisait au milieu de tout un tas de détritus inidentifiables et une odeur nauséabonde émanait de l’endroit. Dehors, la tempête venait de commencer et l’on pouvait entendre le grondement sourd significatif du vent martien, se réverbérer contre les murs.
Au fond de la pièce où elle se trouvait, Alice vit un escalier en spirale qui montait et décida de l’emprunter. Le premier étage était dans le même état que le ré de chaussé. La jeune femme se résigna à reprendre l’escalier pour explorer les autres niveaux qui eux aussi étaient lamentablement en désordre, et en arrivant enfin tout en haut, elle se retrouva soudainement le visage face au canon menaçant d’un fusil.
- Que… ? balbutia t’elle sur un ton quelque peu décontenancé.
- Ca fait un moment que je t’observe de loin, dit la voix de l’homme qui tenait l’autre
extrémité de l’arme.
Celui-ci portait l’uniforme des Marines Coloniaux et semblait avoir à peine une trentaine d’années.
- Qui êtes-vous ? demanda Alice.
- Silence ! ordonna le soldat. Ici c’est moi qui pose les questions !
Sans se démonter, Alice saisi le canon du fusil avec une rapidité impressionnante tout en envoyant un coup de pied dans les parties génitales de l’inconnu. Un coup parti et une balle fit un trou au plafond. La jeune femme profita de la confusion pour s’emparer de l’arme qu’elle retourna contre son propriétaire.
- Je répète : qui êtes-vous ?
Le rapport de force inversé, le militaire, qui se tenait l’entrejambe, se résigna à répondre avec une réelle expression de surprise, et en même temps de douleur, dans le regard.
- Lieutenant Sonido Masia, matricule 010836, membre de la compagnie Delta du 14ème régiment du Space Marine Corps.
- Et bien voilà, c’était pas compliqué, ironisa la jeune femme en rendant son arme au
Soldat. Je m’appelle Alice Nyozeka. Vous auriez quelque chose à manger, je meurt de faim ?
- Vous êtes sacrément rapide Alice !
- Merci !
- Venez vous asseoir par là, je vais vous trouver quelque chose à grignoter dans mes provisions.
Alice retira son sac à dos et son fusil et se posa avec lourdeur sur une chaise en fer. Sonido Masia fouilla dans un placard et en sorti une boîte remplis de grains de maïs, qu’il versa dans un bol. Il le tendis à la jeune femme qui s’en empara aussitôt avec avidité.
- Vous deviez être affamée dites-donc ! s’exclama le marine.
- Je n’ai rien avalée depuis trois jours, expliqua Alice tout en mâchouillant sa
nourriture.
- Il y a tout ce qui faut ici, commença à expliquer Sonido en s’asseyant à son tour.
Même si les cultures ne sont plus entretenues, il reste encore pas mal de choses à récupérer.
- Vous êtes ici depuis longtemps ?
- Ca doit faire trois semaines environ. Je me suis installé dans cette tour à l’entrée de la
station, ça me permet d’avoir une bonne vue sur tout ce qui se passe aux alentours. Je ne sort que pour aller chercher des vivres dans les serres, ou pour remettre en marche le générateur d’électricité qui a la détestable manie de tomber en panne quand ça lui chante.
- Vous n’êtes pas de Mars, n’est-ce pas ? demanda Alice.
- Non, ma patrie est l’Indonésie ! répondit le militaire en se mettant presque au garde à
vous.
- Comme vous portez l’uniforme des Marines Coloniaux, j’en déduis que vous faisiez partie de la force de débarquement terrienne !?
- Vous déduisez bien en effet. J’étais à la bataille de Odeon City.
- Je n’imaginais pas qu’il y avait eu des survivants.
- J’ai survécu…D’autres non…
Le visage du soldat s’assombrit à l’évocation de l’enfer que fut Odeon City. Environ cent mille soldats y avaient rencontrés la mort, et Sonido y avait perdu beaucoup de ses amis.
- Ca me fais drôle de rencontrer enfin quelqu’un, déclara Alice avec une certaine
émotion dans la voix. J’avais fini par penser qu’il ne restait plus que moi sur cette fichue planète.
- A moi aussi ça me fais drôle, fit Sonido tout en s’allumant une cigarette. Vous fumez ?
- Non merci, j’essai d’arrêter !
- Vous avez bien raison, cette saleté tue trop de gens !
Alice éclata d’un rire à la fois franc et nerveux, avant de prendre la cigarette de la bouche du soldat. Elle en tira une grande bouffée puis lui redonna.
- Et ben vous alors ! s’exclama celui-ci.
A l’extérieur, le vent redoublait de violence et venait fouetter les parois de la tour où se trouvait Alice et son nouveau compagnon.
- J’ai bien fais de fermer les volets, dit Sonido. Ca barde dehors !
- Les tempêtes martiennes sont toujours impressionnantes, expliqua Alice. Mais le pire
s’est qu’elles peuvent durer des journées entières.
- J’ai remarqué oui. Rien de comparable avec la Terre.
- La Terre… Cela fait bien longtemps que je n’y suis pas retournée.
- Vous savez, la guerre sur Mars a bouleversée les gens là-bas !
- J’imagine oui…
En grimaçant, Alice se massa le poignet où elle avait reçu une blessure lors de son affrontement précédent avec un bioroïd.
- Vous êtes blessée ? questionna Sonido.
- Oui, répondit la jeune femme. Mais ce n’est pas grave.
- Laissez moi voir !
- Ca va allez je vous dis, c’est trois fois rien !
- J’ai assez côtoyé les champs de batailles pour savoir qu’une blessure doit toujours être prise au sérieux. Allons faites voir ! insista le marine.
Alice fini par accepter avec une certaine réticence. Le soldat lui retira délicatement la bande qui était tachée de sang. En-dessous, la plaie était encore dangereusement ouverte et semblait s’être infectée. Le poignet de la jeune femme avait quasiment doublé de volume et avait viré au violet.
- Pas très jolie à voir, observa le lieutenant du Marine Corps. Il faut que je vous
emmène d’urgence à l’infirmerie. Il faut absolument soigner ça !