Les mystères des rêves

Sophie Allard
collaboration spéciale

Malgré le nombre de recherches sur la question, «On en connaît encore très peu sur les rêves», observe le Dr Toré Nielsen. Le directeur du Laboratoire des rêves et cauchemars de l'Hôpital Sacré-Coeur bricole des drôles de bibittes avec sa fille de quatre ans Sabrina, qui fait parfois des cauchemars. «Une façon comme une autre d'aider», précise-t-il.

Tour à tour, le rêve nous intrigue et nous tourmente et ce, depuis toujours. La première représentation graphique d'un humain en train de rêver remonte à près de 20000 ans! S'il est encore loin le jour où le rêve aura dévoilé tous ses secrets, les scientifiques défrichent peu à peu ce terrain sauvage et apportent un début d'explication.

Entre le moment où l'on pose la tête sur l'oreiller et celui où l'on ouvre les yeux, le cerveau - avec ses 500 milliards de neurones et 1 million de milliards de synapses! - bouillonne. Nous rêvons environ une heure et demie par nuit, soit cinq ans de notre vie. Pendant le sommeil paradoxal - phase principale du rêve - le cerveau émet soudainement des ondes très rapides, signe d'une activité cérébrale intense. Il est aujourd'hui possible de savoir si un rêveur est en colère, s'il a faim ou éprouve du désir!

Si le rêve est un élément essentiel à la nuit, il n'est pas indispensable à la survie. En principe, on a tous la capacité de rêver et de se rappeler ses rêves et ce, dès la tendre enfance (les rêves se complexifient entre 5 et 7 ans). Toutefois, certains individus ont moins de chance. Des lésions au cerveau ainsi que la consommation de certains antidépresseurs (Imao) suppriment le sommeil paradoxal et donc, les rêves. «Des individus dépressifs voient leur état sensiblement amélioré par l'absence de sommeil paradoxal, indique le Dr Toré Nielsen, psychiatre et directeur du laboratoire des rêves et cauchemars de l'Hôpital Sacré-Coeur de Montréal. Il n'y aurait pas de conséquences à long terme, mais rêve-t-on alors à d'autres niveaux? On n'en sait rien...»

Mais, pourquoi rêvons-nous?

«On en connaît encore très peu sur les rêves, poursuit le Dr Nielsen. Depuis une dizaine d'années, beaucoup de recherches ont été effectuées et quelques explications sont avancées.» Une théorie répandue veut que le rêve serve à composer avec des émotions intenses - d'où les cauchemars post-traumatiques - et à mieux vivre des situations quotidiennes difficiles. «Le rêve a une fonction d'adaptation sociale et joue un rôle dans le processus d'attachement», explique le Dr Nielsen. D'après ses études, les nouvelles mamans rêvent souvent que leur enfant est perdu ou disparu. Au contraire, lorsqu'un proche meurt, les sujets continuent de se représenter cette personne en rêve. « Parfois, c'est si réel que la personne disparue semble être dans la pièce. L'image du proche est depuis si longtemps dans le cerveau que les rêves aident à s'en défaire progressivement et transforment le lien qui nous unissait à lui pour le rendre moins fort. Au contraire, les nouvelles mamans doivent bâtir l'image de leur enfant maintenant au monde.»

Au-delà des émotions, le rêve aurait une fonction d'apprentissage et de mémorisation. La nuit qui suit une situation d'apprentissage, la quantité de sommeil paradoxal augmente. Y a-t-il un lien avec le rêve? Les résultats d'une récente étude vont dans ce sens. À plusieurs reprises, des sujets devaient tenir un crayon entre deux lignes sur un globe tournant sur lui-même. Ils ont ensuite été nombreux à rêver d'une autoroute sur laquelle ils zigzaguaient. Le rêve permettrait donc d'assimiler de nouvelles connaissances.

Selon le découvreur du sommeil paradoxal, le Français Michel Jouvet, le rêve servirait aussi à l'«individuation» de l'être humain. Le cerveau reprogrammerait, à l'aide des rêves, les comportements qui nous sont uniques. Cette explication, fortement controversée, suppose que nos comportements seraient le fruit de la génétique.

Et les rêves prémonitoires? D'un côté, des études démontrent qu'il y a des preuves statistiques. De l'autre, des recherches prouvent l'inverse. « Il y a une longue tradition de rêves prémonitoires, affirme le Dr Nielsen. Mais, c'est un domaine très difficile à étudier car c'est du cas par cas et que les chercheurs intéressés ont peur du ridicule. Quoi qu'il en soit, il devrait y avoir des recherches approfondies sur le sujet car si ça existe, c'est fantastique!»