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Ce que l'on peut dire en premier lieu est que la mise en scène effectuée par le prof. von Hagens a été peu critiquée jusqu'à présent. Toutefois il appert qu'elle soulève de nombreuses remarques et objections, permettant de révéler toute la part de démagogie, de cynisme, de mercantilisme, de ruine de la pensée, qui suinte de ce que déjà certains qualifient de foire macabre.
En effet, Herr von Hagens se veut le zélateur d'une anatomie accessible à tous, et insiste bien fort sur sa volonté de "démocratisation", ce à quoi nous pouvons d'emblée répondre : "En quoi l'anatomie peut-elle (ou devrait-elle) "élever" l'âme du plus grand nombre ? Dans quelle mesure son "exposition", mise en scène, commercialisée, publicitaire et racoleuse, peut-elle (ou devrait-elle) aider à cela ?"
Les cadavres de Herr von Hagens, sont exposés en situation, en train de nager le crawl, de jouer aux échecs, etc., ou, mieux encore, ventre béant, dans le cas d'une femme morte enceinte de huit mois, ou d'un écorché, tendant fièrement à bout de bras sa peau, ou bien encore d'un homme les muscles en éventail...
N'oublions pas qu'il s'agit là d'êtres humains récemment décédés, qui certes avaient donné leur corps à l'Institut que dirige Herr von Hagens, mais bon... (cela n'a rien à voir avec la momie de Ramsès II, dont les descendants ne sont à coup sûr plus en vie aujourd'hui, et qui en momifiant leur défunt, se proposaient un autre but que de rameuter un large public enthousiaste et prêt à mettre la main à la poche... pour se rincer l'oeil...)
Il paraît même que l'exposition, dans chaque pays où elle passe, suscite de nombreuses, subites et nouvelles vocations de donneurs... (Ainsi lors de l'exposition de Bruxelles, "quatre mille d'entre eux ont déjà signé un document qui autorise von Hagens à plastiner leur dépouille", selon Le Monde). Certains espèrent ainsi "échapper" à la mort, à la disparition.
Mais l'inhumanisme (nous entendons par là le contraire d'humanisme, au sens strict) d'une exhibition grandiloquente est-il une inhumation valable ? L'anonymat généreusement garanti, sous couvert de respect, permet-il le deuil, le souvenir, le travail de mémoire, toutes notions que tous les scientifiques, paléontologues, ethnologues, font ressortir comme constitutives de l'humanité, et incidemment, constitutives de la science ?
C'est le ridicule qui tue ici, pour de bon, éternellement (le procédé employé permet une conservation estimée à plusieurs milliers d'années) ...
Les cadavres sont de plus, comme oeuvres d'art, vendus (à partir de £15000)... Le prix de la mort ? Et à qui profite la mort ?
Anonymées, ces sculptures, (pardon, ces corps : i.e. ces ex-individus, rappelons-le), à quoi se rattachent-ils et dans quelle tradition s'insèrent-ils ? Ils nourrissent le prof. von Hagens (qui aurait gagné €75 millions depuis le début de son show anatomistico-artistique) et financent son Institut de Heidelberg : car, plastiner, c'est cher. Il est vrai que cela permet à von Hagens, dit-il, de "tracer une nouvelle voie, (...) forger une nouvelle culture. (...) (créer) une nouvelle discipline" : s'agit-il bien de science encore, ou de "Hagens-messianisme" ?
En plus, Herr von Hagens, qui développe ses activités en Chine et en Kirghizie notamment, ose sous-entendre que son travail peut être militant, avoir un sens politique, qui sait, pourrait favoriser la démocratie libérale dont il est une pièce rapportée, partout où il passe (et il passe partout): "né et ayant vécu en Allemagne de l'Est, je comprends la pensée de gens qui vivent, ou ont vécu, sous le marxisme. Et je sais comment faire, si nécessaire, pour les amener à changer d'avis" (source) : entends-tu, ô digne successeur du Grand Timonier ?
En quoi le corps inerte d'un être humain, ou animal, peut-il constituer en lui-même (et non sa représentation) une oeuvre d'art ? La réponse de M. von Hagens consiste en un minutieux équarissage duquel résulte une sculpture particulièrement grotesque (selon notre point de vue, que vous êtes en droit de partager...) et obscène (au sens propre : "qui blesse ouvertement la pudeur", Littré).
Le cadavre sculpté n'étant pas une finalité esthétique en soi, du moins pour Gunther von Hagens, qui dit faire oeuvre d'anatomiste (donc de scientifique), une mise en situation sensationelle s'impose : voilà le côté artiste du maître : il est tout de même plus amusant (et récréatif) de présenter feu untel continuant à faire du vélo ou jouer au basket.
Et ça en devient très glamour : de nombreuses stars, comme Tina Turner ou Dustin Hoffman (au fait, seront-ils plastinés à leur tour, ou préfèrent-ils le Musée Grévin ?), ne perdent pas une occasion de se faire prendre en photo avec le maître, quelle bonne publicité !
Déjà plus de 7 millions de personnes de tous âges ont vu cette "exposition" (certains d'ailleurs ne savent même pas qu'il s'agit de cadavres réels : le formulaire de commentaire présent sur le site Bodyworlds pose expressément la question). Qu'est-ce qui attire tant de monde ? Le goût de la science, de l'anatomie ? Le désir de progresser vers une connaissance plus approfondie des mystères du corps humain, cette merveilleuse machine ? Des préoccupations intellectuelles, philosophiques, ou même simplement esthétiques ? Ou bien le frisson attendu ne surpasse-t-il pas aisément celui que pourra procurer n'importe quel film, n'importe quelle exposition d'art contemporain, n'importe quel manuel de sciences ?
Il le surpasse sans doute : ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de voir de vrais cadavres dans nos sociétés qui évacuent la mort (pas sa représentation qui, elle, déborde de tout "vrai" tube cathodique) ; cela fait longtemps que la mort nous a quitté...
Alors pourquoi ne pas amener ses enfants à Bodyworlds ? C'est plus instructif que Disneyland, plus distrayant que le Futuroscope, et surtout, c'est du jamais vu : la mort, les cadavres, comme si vous y étiez ! Vu de l'intérieur ! On peut toucher ! Serrer la main au jouer d'échecs ! Commenter l'état d'avancement de la cirrhose du foie malade ! Mais c'est culturel, scientifique, démocratique : on ne se moque pas, on ne rie pas de la mort, on apprend, on s'instruit !
Ou se situe notre indignation ?
Certes pas dans une condamnation "morale" du travail de titan du prof. von Hagens (il faut plus de 1500 heures pour plastiner un corps : c'est long et dur !), nous avons déjà lu, nous aussi, non sans plaisir, Par-delà le bien et le mal, et déjà écouté, nous aussi, avec délectation, les Sex Pistols ; certes pas non plus dans un refus obsurantiste de l'anatomie et de son utilité pour la science en général ; encore moins dans un élitisme visant à exclure du savoir les plus nombreux.
C"est le von Hagens artiste, le von Hagens scénographe, le von Hagens bateleur, qui nous chagrine le plus : le von Hagens qui se drape dans sa dignité d'anatomiste et son courage d'homme éclairé affrontant les tabous dès qu'on le taquine sur la justesse de ses prétentions ; or c'est ainsi qu'il apparaît la plupart du temps : jouant en même temps la comédie d'un Indiana Jones positiviste et high-tech, artiste d'une nouvelle culture...
Mais il n'y a là ni art, ni culture, et ce qu'il donne à voir, tel qu'il le met en scène et en fait la réclame idéologique, relève plus du champ de foire, de la manipulation de masse que de la science (au revers de ses prétentions) ; il eût sans doute été possible de présenter cela de manière plus didactique que distrayante, plus réfléchie que "fun" et "fashion", s'il s'était véritablement agi de science : cet article n'aurait jamais été écrit...
Vous ne nous choquez pas, M. von Hagens, ce qui nous choque c'est que vous n'êtes pas un artiste, et nous serons prêts à vous le dire chaque fois que nous le jugerons nécessaire !
pour vnatrc.net, Rico da Halvarez & Ether-Michel
http://vnatrc.net/gvh/le site du prof. von Hagens :
http://www.koerperwelten.de/en.html