CLIMATOLOGIE Le rôle des couches de l'atmosphère dans l'évolution météorologique
Le changement de temps proviendrait-il de la stratosphère ?
La stratosphère est-elle importante pour prédire les changements météorologiques et climatiques ? On croyait jusqu'à présent que cette couche atmosphérique, qui s'étend de 10 km à 50 km d'altitude environ, était un récepteur passif d'énergie et d'ondes provenant des systèmes météorologiques à plus faible altitude. De nouvelles observations démentent cependant cette vue traditionnelle. Un atelier organisé à Whistler, en Colombie britannique, a réuni des scientifiques pour examiner comment la stratosphère réagit aux changements météorologiques et climatiques dans les couches inférieures de l'atmosphère, et influe à son tour sur ces changements. Le Figaro publie aujourd'hui la traduction d'un compte-rendu de cette réunion paru le 18 juillet dernier dans la revue américaine Science.
[31 juillet 2003]
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La couche atmosphérique la plus basse, la troposphère, est extrêmement dynamique et riche en vapeur d'eau, nuages et phénomènes météorologiques. La stratosphère, située au-dessus, est moins dense et moins turbulente. Les variations des flux d'air stratosphérique évoluent généralement suivant une échelle de temps allant d'une semaine à plusieurs mois. Des variations importantes peuvent cependant intervenir en l'espace d'un jour ou deux, avec des écarts soudains et importants de température. La troposphère influe principalement sur la stratosphère par le biais des ondes atmosphériques qui se propagent vers le haut.
Durant l'hiver boréal, l'air qui se déplace au-dessus des massifs montagneux et des masses continentales crée de vastes ondes à l'échelle planétaire dans la configuration des vents qui se propagent vers le haut, se réfractent et se réfléchissent dans la stratosphère. Les ondes se brisent dans la stratosphère et au-dessus, tout comme les vagues se brisent sur la plage. Elles créent ainsi des fluctuations dans la force de la zone de basse pression autour du pôle Nord, appelée vortex polaire, qui est formée en hiver par les vents de hautes latitudes.
L'hémisphère sud contient moins de massifs montagneux et moins de surface terrestre. Les ondes planétaires sont par conséquent moins importantes et influent moins sur la stratosphère que dans l'hémisphère nord. C'est pourquoi le vortex polaire dans l'hémisphère sud est relativement passif, jusqu'à la fin du printemps, lorsqu'il diminue et que le rayonnement solaire détruit peu à peu la couche d'ozone stratosphérique.
La variabilité de la stratosphère tropicale est dominée par une oscillation irrégulière avec une période d'un peu plus de deux ans, qui semble moduler l'altitude de la ligne de démarcation entre la troposphère et la stratosphère dans les zones tropicales et subtropicales, ce qui affecte la convection, la dynamique des moussons et les ouragans. De récentes analyses fondées sur les observations ont mis en évidence un lien étroit entre la force du vortex polaire stratosphérique dans l'hémisphère nord et la structure dominante de variabilité météorologique au sol, le Mode annulaire boréal (MAB), qui est très similaire à l'oscillation nord-atlantique.
Lorsque le MAB est positif, les pressions sont inférieures à la normale au-dessus de la calotte polaire, mais supérieures à faible latitude, avec de forts vents d'ouest à moyenne latitude, tout particulièrement au-dessus de l'océan Atlantique. L'Europe septentrionale et une grande partie des États-Unis sont plus chaudes et plus humides que la moyenne, tandis que l'Europe méridionale est plus sèche que la moyenne. La lente variation du signal stratosphérique pourrait aider à prédire le MAB bien au-delà de la limite de sept à dix jours des modèles de prévisions météorologiques.
Le lien entre le vortex polaire stratosphérique et le MAB de surface a des implications importantes sur la prévision de la réponse climatique à la concentration croissante des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. À mesure que la troposphère se réchauffe, le vortex polaire stratosphérique devrait normalement se refroidir ; on pourrait donc s'attendre à des valeurs plus positives du MAB. Mais les modèles climatiques divergent sur la question de savoir si le vortex polaire stratosphérique va se refroidir et s'intensifier avec la concentration grandissante des gaz à effet de serre.
Certaines éruptions volcaniques peuvent provoquer de fortes augmentations des aérosols sulfatés qui réchauffent la stratosphère, ce qui semble affecter le MAB à la surface de la Terre. Les changements dans le rayonnement solaire ultraviolet, à la suite du cycle solaire de onze ans, affectent également l'ozone et les températures dans la stratosphère, et pourraient donc avoir aussi un impact sur le climat près de la surface terrestre.
Les résultats tirés des observations et des modèles montrent que les processus stratosphériques influent sur le climat dans la troposphère et au sol dans de nombreuses échelles de temps. Les théories en vigueur n'expliquent cependant pas les mécanismes sous-jacents.
Quel que soit le mécanisme, il semblerait qu'un amplificateur soit nécessaire. Dans les couches supérieures de la troposphère, les faibles changements dans la force des vents pourraient être amplifiés par les interactions avec les grandes ondes qui se propagent sur plusieurs kilomètres dans la stratosphère. Les ondes modifiées pourraient à leur tour influer sur la circulation troposphérique et provoquer des changements de pression au sol qui correspondent au MAB.
Les données présentées lors de l'atelier suggèrent que, parallèlement aux océans tropicaux, la stratosphère contribue à déterminer la mémoire du système climatique. L'influence qu'elle exerce sur les phénomènes météorologiques dans la troposphère est la plus forte durant l'hiver boréal et le printemps austral. À son maximum, l'ampleur et l'échelle géographique de cette influence pourraient être comparables à celles d'El Ni±o-oscillation australe. La stratosphère pourrait contribuer de manière significative aux variations à long terme dans la calotte polaire, dans les températures à la surface des océans et dans la circulation dans les grandes profondeurs océaniques, du fait que les océans à moyennes et hautes latitudes sont sensibles aux changements persistants dans le MAB.
Le plus urgent dans l'étude des interactions entre la stratosphère et la troposphère est de mieux comprendre les processus dynamiques par lesquels la circulation troposphérique réagit aux changements dans la stratosphère. Cela pourrait aider, d'une part, à améliorer les prévisions météorologiques mensuelles et saisonnières, et d'autre part, à mieux prédire les effets sur le climat de l'accroissement des gaz à effet de serre, de l'appauvrissement de la couche d'ozone, des changements solaires et de l'action des volcans.
(1) Universités du Colorado, de Cambridge, d'Oxford, de Victoria.
Source : Le Figaro.