Bon, on continue...
Ce qu'il faut bien comprendre dans cette histoire c'est qu'il n'y a rien de mystique, de gnostique, de merveilleux, voire même d'extraordinaire. On va dire plutôt que c'est de l'incroyablement saugrenu et du magistralement farfelu... on dirait presque une farce de lycéen, façon Francis Blanche et Pierre Dac (que Cherisey connaissait fort bien, d'ailleurs). Cela pourrait également parfaitement s'inscrire dans un film Jean-Pierre Mocky (je pense que ceux qui connaissent bien ses films comprennent ce que je veux dire)
D'ailleurs, le trio Plantard-Sède-De Cherisey ne forme pas une bande de gens "ouverts" dans le sens gnostique du terme. Il sont certes à la recherche de faire un "coup" sous forme littéraire, voire médiatique, mais ni la métaphysique pure, ni la spiritualité ne sont leurs tasses de thé, ni même leurs forts. On est bien plus près du Pr Choron que du Pr Foucault...
Plantard, certainement, le plus croyant du lot, est, il faut le reconnaître, un raté, un mégalomane avec des idées de grandeurs, certes, mais qui ne sait pas trop comment organiser tout cela dans sa petite tête : c'est un ancien sacristain devenu employé au dessin industriel dans une petite entreprise, et il est loin d'être un nouveau Naundorff : il n'en a ni la carrure, ni la constance et encore moins le charisme.
De Sède, lui, est un journaliste plutôt ancré à gauche et visiblement athée, à l'époque. Ancien surréaliste et ancien résistant actif (et médaillé) encore très impressionné par son passage en Yougoslavie dans les années 50, ou il a voulu faire connaissance de l'expérience autogestionnaire du titisme, il a les deux pieds sur terre mais il est sorti échaudé de son expérience dans l'affaire de Gisors.
De Cherisey, lui, est un fantasque, un touche-à tout (avec un peu de génie), qui sera l'exécuteur des basses-oeuvres (cela lui va bien, il a joué le rôle du bourreau qui exécuta Marie-Antoinette dans le fil du même nom). On peut considérer qu'il est le pion essentiel dans la mystification de Rennes-le-Château, même si je pense, la dérision fut son point de départ. La tournure qu'ont pris les événements, ensuite, ont du l'effrayer puisqu'il exprima à demi-mot des regrets à la fin de sa vie.... C'est lui qui est d'ailleurs mort le premier, brouillé avec Plantard.
De là à dire que l'un (ou les uns) a (ont) manipulé l'autre, c'est un peu fort. De Sède, l'homme de lettre était parfaitement consentant et il devait bien se douter de ce que Cherisey et Plantard fabriquaient derrière son dos. On fabrique de faux parchemins, soit-disant ceux qu'auraient découvert l'abbé Saunière dans le fameux pilier wisigothique de l'église de Rennes, se basant sur une déclaration de Saunière sans doute mensongère, elle aussi (car le pilier n'était même pas creux, tout juste une légère encoche). De là, découle l'histoire inventé de toutes pièces : la visite à Paris de Saunière pour aller à la rencontre des membres des cercles dit hermétistes qui va traduire le texte des fameux parchemins (le paléographe Emile Hoffet, la cantatrice Emma Calvet, le musicien Debussy, etc...) et puis on brode, on profite de la présence de la dalle dite du chevalier (qui doit plaire beaucoup à Plantard) pour en rajouter, et s'inventer l'histoire de la survivance du dernier mérovingiens. L'obsession de Saunière pour Marie-Madeleine (il fut loin d'être le seul) va aussi être utilisée pour en rajouter encore et évoquer la possible filiation du christ qui aurait eu un enfant de Marie-Madeleine, etc.. etc...
Puis, puisqu'on nage en plein délire et qu'il va falloir le "prouver", Cherisey et Plantard déposent en 1964 , de "vrais faux documents" historique à la BNF, qu'ils ressortent ensuite pour mieux prouver l'historicité de la chose à Gérard de Sède, et les deux compères en profitent pour ressortir l'idée même du Prieuré de Sion et du survivant protégé par la grande organisation médiévale sans oublier le rôle du grand monarque dit Chyren, le fameux seul nom cité (ce qui est faux) dans ses prophéties par Nostradamus (qui lui faisait partie de la bande au priéuré) et que reprendra à son compte Pierre Plantard. C'est qu'on appelle les "Dossiers secrets d'Henri Lobineau" (du nom d'une rue de Paris ou se situe le marché Saint Germain et un café -du même nom- fréquenté par De Cherisey). cela pue la mystification à plein pif et cela Gérard de Sède ne pouvait pas l'ignorer.
....et le pire, c'est que le duo Plantard-De Cherisezy en rajoute en déposant encore de nouveaux textes, en 1966 et 1967, toujours à la BNF, n'hésitant pas à déposer même un texte encore plus énigmatique ("le serpent rouge") évoquant pèle-mèle Jules Verne, le peintre Nicolas Poussin, l'arche d'alliance et le Saint Graal, signés par des gens dont les noms ont en fait été relevés dans la page de la rubrique nécrologique de journaux, probablement dans France-Soir ou le Parisien Libéré. Ce texte comporte des incohérences notables, notamment concernant le dallage (en noir et blanc) de l'église de Rennes-le-Château qui s'inspiraient de la lutte du bien contre le mal... Ce que ces deux crétins ne savent pas, ce dallage ne date pas de l'abbé Saunière mais des années 50 !! De Sède accepte tout...
La farce est consommé, le livre de Gérard de Sède ("L'or de Rennes") avec toute l'histoire, les faux parchemins, les dossiers Gobineau, la vie romancée du pauvre Saunière, est bouclé en 1967, 6 ans après l'émission de télé et 5 ans après l'affaire de Gisors. L'éditeur accepte de l'éditer la même année. Le livre se présente comme une enquête journalistique, signé par un seul homme, alors qu'ils sont, en fait, trois (Plantard pour le texte, De Cherisezy pour les "documents historiques" et De Sède pour la mise en forme et le style) mais seul le journaliste était connu du monde de l'édition et il valait mieux pour tous les trois que ce livre soit ligné par le journaliste de l'équipe...
photo personnelle (ben oui c'est à moi)La livre reçoit un vrai succès de la part du public et l'éditeur Flammarion demandera à Gérard De Sède de participer à sa collection "l'aventure mystérieuse" sous la forme de livre de Poche. C'est d'ailleurs dans ce format que je découvris pour la première fois l'histoire de Rennes-le-Château (c'était chez Gibert à Paris et si je ne me trompe pas, cela devait être en 1974 ou 1975).
Normalement, cela devrait être la fin de l'histoire, mais ce n'est pas le cas, car la télévision va revenir à Rennes-le-Château, pas l'ORTF qui continue à faire profil bas, mais la prestigieuse BBC et là, l'affaire prend une dimension internationale, l'abbé Saunière n'a pas fini de se retourner dans sa tombe !
(
à suivre... )